MONUMENTS AUX MORTS
Le monument aux morts : bien plus qu'un simple monument !
Les Monuments aux Morts sont des monuments érigés par les autorités locales pour commémorer des soldats et/ou des victimes de guerre. Il peut parfois s’agir de mausolées, monuments mortuaires contenant des corps, mais la plupart du temps ce sont des monuments où ne reposent aucun corps. Tubize, fait assez rare, possède les deux types.
Avant le XIXe siècle, ce genre de monuments n’existaient pas. Jusque là, on glorifiait plutôt la victoire. La Grande Guerre (1914-1918) marqua un tournant décisif dans la manière non seulement de faire la guerre, mais aussi de la commémorer par la suite. Pour la première fois les armées avaient procédé à la mobilisation en masse de la population et la guerre a provoqué d’énormes pertes humaines et d’importantes destructions. Aussi, on va plutôt honorer la mémoire de ceux qui ont perdu la vie, plutôt que des hauts faits d’armes. Par la suite, dans le même esprit, on ajoutera sur les monuments de 14-18 les noms des morts de la Seconde Guerre Mondiale. Tout est fait pour que le sacrifice des victimes des conflits ne soit jamais oublié par les générations futures. Ces monuments permettaient également aux survivants de partager un vécu commun et de favoriser le travail de deuil.
Dans les années qui suivirent immédiatement la Grande Guerre, toutes les communes édifièrent des monuments à la mémoire de leurs enfants morts pour la Patrie. Durement éprouvées par les privations, souvent exsangues financièrement, l’érection d’un tel monument représentait un effort conséquent pour les finances communales. Aucun pouvoir communal toutefois aurait oser faire l’impasse sur la commémoration de ses héros et de ses victimes de guerre. Ainsi fleurirent partout ces Monuments aux Morts, parfois majestueux, souvent bien modestes, devant lesquels nous nous recueillons encore chaque année à l’occasion de cérémonies patriotiques.
Aujourd’hui cependant, notre rapport aux Monuments aux Morts est bien différent de ce qu’il était à l’origine. Il ne s’agit plus depuis longtemps de glorifier ni la victoire, ni totalement de rendre honneur aux morts de la guerre devenus pour beaucoup des inconnus, mais plutôt de se rappeler ce qui s’est passé, de garder en mémoire les erreurs du passé en espérant ne plus jamais les commettre.
Dans cette optique, les Monuments aux Morts sont des documents utiles pour comprendre, non la réalité de la guerre, mais les représentations que s’en faisaient ou qu’ont voulu s’en faire les contemporains. L’idée maîtresse était de se persuader que tous ces gens n’étaient pas morts pour rien, de se forger une nouvelle identité fondée sur le patriotisme, et de se projeter dans un avenir qu’on espérait meilleur.
Les populations de l’époque ont été très marquées par la Grande Guerre. La violation de la neutralité de la Belgique par l’Allemagne, les atrocités d’août 1914, les déportations, la faim, tout cela fut très difficile à supporter. Pour l’accepter les contemporains se sont forgé des représentations, la Patrie a été sacralisée, la guerre a été investie d’une dimension quasi religieuse. Cela a amené un mouvement commémoratif d’ampleur inconnue jusqu’alors, qui explique la ferveur et la dévotion qui entouraient les Monuments aux Morts. Cela a donné naissance à une véritable « religion » du souvenir de la guerre. Les manifestations patriotiques ont connu un succès inégalé qui s’est, par la suite, lentement érodé et qui finira – qu’on le regrette ou non – par disparaître avec le temps.
En somme, les Monuments aux Morts sont des témoins privilégiés d’une époque et de ses représentations collectives. Ils sont comme des livres ouverts qui nous en apprennent énormément sur les populations de l’époque et leurs dirigeants. Tout y est porteur de sens : l’emplacement, la forme du monument, ses matériaux, ses ornements et ses inscriptions.
L’emplacement du Monument aux Mort peut être très symbolique aussi. A-t-il été placé près de l’église ou de la Maison communale, ou dans un autre endroit encore ? Bien sûr cet emplacement est d’abord conditionné par les disponibilités. Il faut aussi un lieu qui puisse accueillir les manifestations commémoratives et donc un minimum d’espace. Ce n’est sans doute pas un hasard si, à Tubize, il avait été initialement placé tout près du perron d’entrée monumental de la Maison communale et, en quelque sorte, le plus loin possible de l’église. Ce choix reflétait clairement les rapports de forces politiques entre les socialistes, au pouvoir, et les catholiques, tout comme cela avait été le cas quelques années auparavant pour le choix architectural de la Maison communale1. A Oisquercq, il a été placé sur le parvis de l’église pour être en symbiose avec celle-ci. On peut vraisemblablement dire la même chose pour Saintes. Le monument y occupe une place privilégiée dans la partie de parc arboré qui occupe le côté sud de la place, bien en vue du côté de la porte d’entrée habituelle de l’église. A Clabecq, le Monument aux Mort se trouve aussi près de l’église, mais à l’arrière de celle-ci, d’avantage peut-être en association avec la Maison communale toute proche. Sa place ne peut certainement pas être considérée comme privilégiée, contrairement à la statue de Josse Goffin qui trône sur le parvis de l’église et occupe le point central de l’espace public. Ici, la toute puissance industrielle l’emporte sans doute sur le souvenir de quelques modestes villageois morts au combat. Ceci dénote peut-être aussi des manières de faire différentes dans les villages encore essentiellement ruraux, comme Saintes et Oisquercq, et des communes fortement industrialisées, comme Tubize et Clabecq.
L’ampleur du monument est également le reflet des possibilités financières des communes et de leurs habitants. On ne s’étonnera nullement de trouver de modestes monuments dans les petits villages, et des réalisations bien plus majestueuses dans les bourgs plus importants et les villes. Les Monuments aux Morts de Tubize – parce que nous verrons qu’il y en avait deux – illustrent parfaitement la capacité d’une cité industrielle, certes de taille réduite mais en pleine prospérité.
La forme et les matériaux ont aussi toute leur importance. L’obélisque était la forme privilégiée dans les communes rurales – et c’est d’ailleurs le cas à Saintes et à Oisquercq – mais on trouve aussi la colonne brisée – à Clabecq, par exemple – symbole de la vie trop tôt écourtée. La pierre bleue est très présente, peut-être en raison des carrières assez proches des Ecaussinnes ou de Soignies. A Tubize, sur le monument, se dresse une imposante statue de soldat portant le drapeau. Comme les urnes funéraires qui encadrent le socle, elle est en bronze. Tubize était un centre métallurgique important, ne l’oublions pas !
Typologiquement, on distingue plusieurs catégories de monuments :2
- Les monuments patriotiques ou de la Victoire, qui exaltent le sacrifice, souvent avec statue de soldat au combat ou autre élément à caractère guerrier. Ils rappellent que la victoire a été gagnée dans la douleur et le sacrifice. Ils sont souvent placés sur une place publique. Le soldat et le drapeau déployé et/ou brandi en sont des thèmes iconographique courants. Le Monuments aux Morts de Tubize appartient à ce type.
- Les monuments civiques, proches des monuments patriotiques, mais sans éléments guerriers. Les citoyens rendent hommage aux citoyens. Généralement placés sur une place publique, à proximité de la Maison communale. Les monuments de Clabecq, Oisquercq et Saintes sont de ce type.
- Les monuments funéraires, qui expriment le deuil, la douleur de ceux qui restent. Souvent situés dans les églises ou les cimetières, ils relatent les décès. Le Mausolée de Tubize appartient bien entendu aux monuments funéraires.
- Les monuments pacifistes, beaucoup plus rares, qui dénoncent la guerre. Ils insistent sur l’horreur du sacrifice ou de la guerre, mais non le sacrifice pour la victoire.
Les Monuments aux Morts sont des lieux de mémoire par excellence. Un lieu où les morts interpellent les vivants et les poussent encore aujourd’hui à se demander pourquoi ils ont sacrifié leur vie et si cela n’a pas été en vain ? Un lieu propice à réfléchir à ce que nous avons fait de leur mort.
Les formes adoptés par ces monuments sont diverses, mais de grandes tendances se notent. Les moyens financiers des communes ne permettaient pas souvent de se lancer dans des réalisations majestueuses. Aussi vont apparaître des modèles de base que les communes vont pouvoir utiliser à moindre coup en y ajouter une touche locale et particulière.
La forme privilégiée est l’obélisque (Oisquercq, Saintes) et la stèle. Mais il existe des monuments plus élaborés, parfois même avec des groupes sculptés de plusieurs personnages. La statue du soldat est très fréquente : soldat victorieux, soldat au repos, soldat étreignant le drapeau (comme à Tubize), soldat écrasant l’aigle allemand.
L’espace du monument est parfois délimité par un enclos (haies, muret, grilles métalliques comme à Clabecq) avec un petit portail. Cet enclos délimite un périmètre sacré qui évoque le champ d’honneur.
Des plaques commémoratives ont parfois été placées dans d’autres lieux fréquentés par les victimes comme les écoles, les églises (comme à Clabecq), les lieux de travail (comme à Fabelta), ou des lieux où des victimes succombèrent (comme le Monument aux Anglais à Clabecq).
Parfois le choix s’est porté sur un mur formant une stèle monumentale (comme le Monument aux Français à Oisquercq), une porte, une colonne, un pilier, une statue, une colonne brisée (comme à Clabecq). Parfois on retrouve un vitrail dans une église.
La symbolique des monuments et sur les monuments est omniprésente. Certains ornements sont fréquents. Tous ont une signification particulière :
- Palmes et croix. Emblèmes chrétiens, symboles des martyrs.
- Lauriers. Symbole militaire, ils glorifient le héros.
- Couronne de feuilles de chêne. Symbole des vertus civiques et de la gloire.
- Branche d’olivier. Symbole de la paix.
- La croix de guerre 1914-1918.
- Lion. Symbole de la Belgique, forte et courageuse.
- Roi Albert. Symbole du courage et de la détermination de la Belgique durant le conflit.
- Soldat. Symbole de l’héroïsme national, représenté dans différentes attitudes (agressif et/ou en position offensive ; blessé, mourant, mort (de manière idéalisée), entouré de ses camarades veillant sur lui (solidarité du groupe), etc.).
- Patrie. Représentée sous la forme d’une jeune femme parfois ailée, drapée et armée, au style antique. Elle symbolise la tristesse face à la perte de ses enfants morts, mais également la reconnaissance du sacrifice. La gestuelle du corps traduit plusieurs attitudes : la délivrance pour les bras levés, l’accueil pour la main ouverte ou la fermeté pour le poing fermé, la mort pour un corps couché, etc.
- Piéta. Symbolisée par une mère portant son fils tué au combat, elle représente parfois la Patrie.
- Victoire ailée. Référence marqué à l’Antiquité, elle porte des palmes ou des couronnes.
- Casque de soldat. (comme sur le Mausolée de Tubize)
- Urne funéraire (comme le Monument aux Morts de Tubize)
- Le (la) civil(e). Mère qui pleure le fils ou l’être aimé mort, une femme larmoyante est régulièrement représentée avec un enfant à qui elle transmet le souvenir du conflit. La colère, la tristesse, le deuil transparaissent souvent dans l’attitude du personnage.
- Ennemis. Très peu représenté, parfois symbolisé par un aigle écrasé ou mentionné par une référence aux actes commis.
Les inscriptions gravées sur les monuments peuvent revêtir un caractère patriotique, civique (du type « La Commune de … à ses enfants morts pour la Patrie »), ou pacifique.
1 Pour rappel, dans les discussions préalables à l’établissement du programme architectural en vue de lancer un concours d’architecture, il était question de construire un édifice assez élevé pour qu’il puisse rivaliser avec l’église toute proche !
2 Typologie établie par A. PROST, Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, III, Mentalités et idéologies, Paris, 1977, p. 51. Cette catégorisation française peut parfaitement s’étendre à la Belgique.
© L. DELPORTE – Musée ‘de la Porte’ à Tubize